La 2e édition des « mardi biéronomiques » s’est donc tenue chez Méert ce 24 Mars
J’avais beaucoup aimé la première édition, j’ai adoré la deuxième. Expérience intéressante, j’avais convié un ami plutôt néophyte en matière de bières, et il a aussi été conquis tant par la qualité des mets et bières que par leur accord et par l’ambiance de la soirée.
C’est Anthony qui s’est collé à la présentation du concept d’accord, qui doit s’apprécier distinctement de chacune de ses deux composantes, plat et bière.
Maxime Schelstraete, le Chef de chez Méert, nous a encore assuré une prestation gastronomique de grande classe. Et les accords, sympathiques la première fois, étaient cette fois de haute volée, les bières ayant été dégustées en amont pour guider l'élaboration des plats (je ne sais pas si c'était le cas à la première édition, mais l'intégration était cette fois-ci flagrante).
En ce qui concerne l'ambiance, nous avions la chance d’avoir à notre table Nicolas Pourcheresse et Christophe Pirotais, qui vont ouvrir en avril le restaurant La Table du nouvel hôtel Clarance à Lille. Nicolas de nouveau sur ses terres d'adoption (il est jurassien) puisque c’est lui qui avait ouvert le restaurant gastronomique chez Méert, avant de voler de ses propres ailes d’abord vers son étoile, puis à travers le monde dans une "quête initiatique" qui l’a finalement ramené chez nous pour ce projet, dont je pense qu’il va offrir une place fameuse à la bière.
Les commentaires de Nicolas, comme ceux d’Anthony sur les bières et ceux de Virginie Lanvin sur les goûts féminins/masculins, étaient emprunts de passion et de compétence : le régal et l’excellence étaient tant autour que sur la table !
Pour commencer donc, un encornet grillé mariné, piment fumé, héliantis (c’est l’un de ces fameux « légumes anciens) » en robe des champs, accordé à une Ardenne Saison de la brasserie de Bastogne.
Je n’avais pas encore eu l’occasion de goûter cette bière à fermentation mixte, dont le caractère de « Saison » rafraichissante (5,5°) et fleurie est renforcé par une fermentation lactique (ajout de brettanomyces)
Les accords recherchés étaient d’une part la complémentarité (l’acidité lactique ajoutant une impression de citron en bouche) et d’autre part la résonnance (l’amertume affirmée de la bière se mesurant au côté fumé du plat).
Avec un peu de recul, cet accord me rappelle un peu l’utilisation, lors de la première édition, d’Orval (également à fermentation mixte levure-brett’) non pas en pairing (*), mais en ingrédient, en accord avec une saveur citronnée (le crabe-citronnelle ?)
(*) Désolé pour le puristes, je vais utiliser aussi le terme de pairing pour ne pas vous saouler à répéter sans cesse "accord"
Raconté comme ça, ça peut apparaître un peu snob, trop technique ou sophistiqué, voire extrême, mais le tout proposé est dans son ensemble d’une évidence telle que la dégustation en était toute simple. Mon convive Candide en était tout ébahi !
J’ai une petite réserve, l’héliantis dont la douceur était indispensable à l’équilibre de cette entrée, considérée hors pairing, ne participait à mon avis pas vraiment à l’accord. Mais comme je l’exprimais la dégustation s’ordonne d’elle-même, on sirote un petit trait de Saison, on déguste un morceau d’encornet, puis un morceau d’héliantis, et on voyage de saveur en saveur…
Ensuite une roulade de porc fermier mariné à la bière, céleri et jus corsé à la bière.
La bière proposée en pairing et utilisée en ingrédient dans la marinade et le jus corsé est la nouvelle Mongy IPA de Jean-Christophe Cambier.
Celle-ci je la connaissais mais ne l’avais pas encore goûtée non plus. Elle est assez surprenante avec des traits d’IPA à l’Américaine (Cascade…) sans toutefois manifester la moindre agressivité. Un traitement et un rendu très particuliers de l’amertume la rendent étonnamment abordable pour des palais même novices.
Pour info la brasserie Cambier est à la Capsule ce soir.
Ici encore nous avons un double équilibre, la dégustation du plat se décline en portions de porc dont la douceur est dopée par la marinade, pour une jolie transition vers les composantes plus expressives que sont le céleri et le jus corsé. Les traits de Mongy IPA se dégustent ici en parfait accord avec chacune des composantes du plat.
Pour moi c’était l’accord le plus « large » de la soirée, un double ou triple accord facilité il est vrai par l’utilisation mixte de la bière tant en ingrédient et en pairing.
Mais le summum aura été le plat-de-côte de bœuf confit à basse température, chou rouge grillé, cresson sauvage, bouillon épicé, marié à la Capsoul, bière élaborée par les De Struise Brouwers en collaboration avec la Capsule.
La bière (un blend de Pannepot vieillie 3 ans en fût de Nuits-Saint-Georges, de Pannepot vieillie en futs de Malaga - pas le Malaga de Belle-Maman, du Pedro Ximenez ! - et en fut de Moscatel, et de Pannepot jeune) est un « soft killer », une merveille de douceur et de complexité qui n’a rien à envier à bien des vins dans le jeu des accords.
En matière de cuisson à basse température, je me suis trouvé un peu "con" puisque je ne connaissais guère que le gigot de sept heures (d'agneau donc), et ne savait pas qu’il était possible de faire la même chose avec du bœuf.
Grand silence religieux (dans le sens "mon Dieu que c’est bon !!!") autour de la table.
Ô temps suspends ton vol…
La perfection, parfois, est de ce monde…
Les notes douces de griotte et de raisins secs s’accordent divinement avec la profondeur du plat, le fondant de sa viande et ses longueurs épicées...
L’acidité lactique apportée par le vieillissement en fût (type Rouge de Flandre) et les notes de Granny Smith se marient à la perfection avec le sûr du chou, à peine cuit.
Jamais je n’ai goûté un tel accord !!!
Ensuite l’accord bière-fromage se devait d’être une « respiration ».
Et donc un fromage frais de Rouge Flamande (la vache, pas la bière), salsifis rôtis et pain grillé était accompagné d’une Angelus de printemps de la Brasserie Lepers.
Comme l’Angelus, le malt de froment de cette Printemps lui donne une douceur et des notes céréalières naturellement complémentaires à la fraîcheur du fromage. En bouche ceci remplace avantageusement le pain, d’autant plus que personnellement je commence à saturer un peu sur le style Alex Croquet.
J’ai donc dégusté avec plaisir la bière avec le fromage, puis la bière avec le pain, pour un « reset » tout en fraîcheur de mon palais.
Et pour finir, tout est bien qui finit bien, encore une bière de chez de Struise, la « Ypres Reserva » dont l’acidité et les notes de fruits rouges (notamment la groseille) promettaient un accord avec le gras d’un dessert chocolaté. Ce fut un Millefeuille chocolat – fleur de houblon pour lequel l’accord anima les discussions.
La bière était certainement la plus « difficile » de la soirée : apprécier l’acidité comme vecteur de goût n’est pas immédiat ni évident (je me rappelle avoir longtemps dégusté des Geuzes plus pour me faire le palais que pour y prendre un plaisir immédiat).
Mais ici l’accord donnait une belle profondeur au chocolat dans une simple évidence.
Avec la pâte feuilletée ça commençait à devenir plus discutable, disons que c’était plutôt sans intérêt majeur que réellement dissonant. Avec la glace à la vanille je peux concevoir que l’accord puisse être perçu comme grinçant, surtout après tant de perfection, mais en ce qui me concerne mon instinct (plus prosaïquement : « ma chance ») m’avait amené à compartimenter mes mises en bouche en millefeuille/Ypres et millefeuille/glace. Donc pas de fausse note pour moi.
Une soirée particulièrement plaisante donc, l’alchimie réussie entre les propositions gastronomique et zythophile a rencontré sa pareille dans l’ambiance autour de la table.
J’attends avec impatience tant la prochaine édition.
J'attends aussi furieusement l’ouverture de la Table du Clarance ! Je suis certain que Nicolas et Christophe vont enfin, seuls ou avec leurs compères du collectif Mange Lille réussir à magnifier la bière en gastronomie et à faire savoir que c'est gastronomiquement une place Top-Bière !!!
il fait beau