Quel regard portez-vous sur la polémique qui a précédé le lancement de la bière ?
« Les Belges ont été chauvins, pour le coup. La bière du mont des Cats est brassée par des moines, chez des moines (à Chimay, en Wallonie). C'est une trappiste au même titre que les autres, elle respecte un cahier des charges. Elle a le tort d'être la seule trappiste française dans un univers dominé par la Belgique. »
Peu de gens connaissent le passé brassicole de l'abbaye... Les mauvaises langues ont pu pécher par ignorance.
« La première brasserie du mont des Cats a été construite en 1848, sous l'impulsion du père abbé Dom Lacaes, pour les besoins de la communauté et pour approvisionner le cabaret qui logeait les membres de la famille des religieux : il s'agissait en fait d'un modeste bâtiment en bois construit près de l'ancien moulin. En 1885, la petite brasserie qui tombait en ruines a été rebâtie à l'intérieur de l'abbaye avec un système moderne, et une nouvelle cave a été construite. »
C'est à ce moment que la bière a pris son envol ?
« Je tire mon chapeau aux moines de l'époque qui ont réussi à imposer la trappiste dans les grandes villes du Nord et jusqu'à Paris en très peu de temps. Elle était une digne rivale de la Pal'ale, la capacité de production atteignait les dix mille hectolitres annuels. Les brasseurs professionnels de Flandre jalousaient la bière du mont des Cats, et il y avait cent brasseries dans l'arrondissement d'Hazebrouck, c'est dire sa qualité. Elle était plus alcoolisée que les autres, blonde, fine et légère. Elle tenait sa saveur particulière de l'orge et du houblon produits par la communauté, ainsi que de l'eau puisée dans une prairie derrière l'actuelle hostellerie, puis à l'abbaye même, où un puits artésien a été creusé en mai 1885. »
Comment des moines se sont-ils professionnalisés à ce point ?
« Dom Bernard Richebé, fils d'un brasseur lillois, a dirigé l'abbaye. Avant d'intégrer la communauté, en 1893, il avait repris l'entreprise familiale au décès de son père, dès l'âge de 16 ans. La brasserie fonctionnait comme une entreprise : elle a employé jusqu'à cent vingt personnes, soixante-dix moines et cinquante laïcs. Les fonds dégagés ont financé la reconstruction du monastère, dont la première pierre a été posée en 1891.»
Quand et pourquoi l'activité s'est-elle arrêtée ?
« Après la loi de séparation de l'Église et de l'État, les moines se sont réfugiés de l'autre côté de la frontière, à Watou, en 1907. Il ne restait plus de personnel compétent. Les bâtiments de la brasserie ont été détruits par les bombardements lors de la bataille de Kemmel, en mai 1918. »
Vous avez néanmoins trouvé des survivances de la bière dans les années vingt ?
« C'est un grand mystère. J'ai récupéré, dans le grenier d'un marchand de houblon de Boeschèpe, une lettre à l'en-tête de l'abbaye. C'est une commande qui date de 1928. Les moines ont-ils pérennisé une production domestique ou commandaient-ils des matières premières pour d'autres abbayes, comme Belval dans la Somme ? »